COLAS TCHA-TCHA ET LES FEES DU HULTAI
Il existe, près du village des Hayons, une roche qui s’étend circulairement et dont le sommet forme un plateau appelé Hultai ; cette roche, au pied de laquelle coule avec bruit la Semois, ce plateau, qui domine toute la contrée et se perd souvent dans les nuages, ont un caractère particulier qui explique la prédilection que les fées eurent jadis pour eux. Longtemps aucun mortel ne fut assez hardi pour approcher ces lieux : qui aurait osé braver la malignité et la puissance des divinités qui les habitaient ?
Il advint pourtant qu’un pâtre, ayant pour nom Colas Tcha-Tcha, voyant chaque jour dépérir son bétail, faute de nourriture, se hasarda à le conduire sur la pelouse riche et verdoyante du plateau du Hultai.
La nuit qui suivit cette profanation, les fées devaient célébrer une fête en l’honneur de Diane, leur déesse favorite. La reine des nuits resplendissait alors au milieu d’un ciel sans nuages, dans la profondeur duquel on distinguait cette voie lumineuse que l’on dit être le berceau des étoiles.
Le rossignol chantait à gorge déployée, retiré sous le feuillage des bosquets environnants.
Quoiqu’il fut près de minuit, la nature ne dormait pas ; les ondes, les rochers et les arbres semblaient livrés à une douce rêverie, et jouir du charme que répand sur la Terre un ciel calme et illuminé.
Longtemps avant l’heure indiquée pour leur réunion, les Fées s’éveillèrent, secouèrent de dessus leurs robes les lézards et les couleuvres qui s’y étaient réfugiés, sortirent à demi leurs corps d’entre les rochers, consultèrent l’état du ciel, puis gagnèrent au plus vite les fontaines où elles avaient contracté l’habitude de procéder à leur toilette.
On sait que les Fées jouissent d’un privilège, bien enviable sans doute, puisqu’il leur suffit de désirer une chose pour que tout de suite elle leur tombe comme des nues ; aussi ces dames ne se font-elles pas faute des plus délicats et des plus riches tissus, de perles, de pierres précieuses, de fleurs les plus rares et de parfums les plus suaves ; quelques Fées, par caprice ou par calcul, ne se vêtirent pas du tout, se bornant à faire voltiger autour de leur corps et au-dessus de leur tête une écharpe de gaze légère, blanche, rose ou violette, garnie de filets d’or et parsemée d’étoiles.
Essayez de vous représenter le merveilleux et l’original du spectacle que les Fées se donnaient ici à elles-mêmes, quand, ayant mis la dernière main à leur toilette, elles circulèrent orgueilleusement autour de leur séjour favori, où que, pour se contempler, elles parcouraient, en l’effleurant, la surface des eaux ; figurez-vous ces divinités touchant du bout du pied quelqu’aspérité de rocher, quelque cime d’arbre, dans des attitudes près desquelles les poses des nymphes de l’Opéra seraient roides et guindées, puis disparaissant un instant après dans l’ombre que projette la montagne bien loin au fond de la vallée ; figurez-vous encore ces créatures séduisantes, folâtrant dans les airs, s’y balançant, y formant des cercles en se tenant du bout des doigts, puis abandonnant toutes ensemble leurs écharpes à la brise embaumée, pour avoir le plaisir de les ressaisir ensuite avec adresse et agilité.
Il est minuit : à un signal donné, les Fées arrivent de tous côtés, et vont prendre sur le plateau du Hultai leurs places habituelles. Mais à peine en eurent-elles touché le gazon, que des cris de désespoir et d’indignation s’échappèrent de leurs bouches ; l’herbe est foulée, les fleurs flétries jonchent le sol ; une des Fées, la plus délicate, la plus impressionnable, met le pied au milieu de…, comment nommer cela ? Au milieu d’un fait de vache !… Horreur, horreur, mille fois horreur, s’écrièrent à la fois toutes les Fées, puis elles s’enfuirent jusque sur la plate-forme d’un rocher voisin pour y délibérer sur le moyen de tirer vengeance de la profanation de leur sanctuaire.
A la colère des Fées se mêlèrent bientôt des larmes de douleur, l’habitude est pour les femmes une seconde nature ; il faut convenir aussi que le plateau du Hultai est un délicieux séjour, pour les Fées bien entendu ; et que l’on ne peut indifféremment s’en voir dépossédé. Maudit pâtre des Hayons, tu étais un grand révolutionnaire, bien digne de figurer sur la même liste que les… Mais, foin de la politique, revenons à notre sujet.
A la suite du conseil tenu par les Fées, il s’établit une lutte acharnée entre l’influence que la superstition leur avait donnée depuis si longtemps, et les idées nouvelles qui tendaient à affranchir les hommes de l’abaissement où les tenaient la magie, la sorcellerie, etc, etc…
Les Fées employèrent tous les moyens dont elles disposaient pour éloigner le maudit pâtre de leur domaine chéri, les fantômes, les monstres, la séduction, les caresses mêmes, pauvres fées, à quoi étiez-vous réduites ? Et pourtant rien ne réussit ; Tcha-Tcha ne recula jamais d’une ligne : lorsqu’il se présentait à lui quelque monstre menaçant, il enflait sa cornemuse et demandait quelle danse il devait jouer ; une Fée apparaissait-elle sous la forme d’une beauté ravissante, offrant au pâtre la possession de l’objet de ses désirs, de la grandeur, des richesses, à la condition qu’il ne conduirait plus ses bestiaux sur le plateau du Hultai, Tcha-Tcha faisait mine d’être sourd, offrait sa pipe allumée et fermait les yeux.
Voyant l’inutilité de leurs efforts, les Fées désespérées se jetèrent dans le ruisseau des Alleines, du haut du Saut des sorcières, pour aller habiter la Blanche Roche, située entre Membre et Bohan, où nous les retrouverons ; mais, avant de quitter cette contrée inhospitalière, elles voulurent que l’acte de spoliation, dont elles étaient victimes, fut connu de la postérité : à cet effet,elles tracèrent du bout de leurs baguettes, sur tous les rochers qu’elles rencontrèrent, ces caractères cabalistiques, qui se détachent en veinules blanches sur le fond obscur des masses schisteuses.
Le pâtre Tcha-Tcha triompha donc de la puissance des Fées, ce qui lui valut à juste titre une grande renommée aux Hayons ; afin de perpétuer le souvenir d’un tel héros, on l’enterra au milieu du plateau du Hultai, et l’on donna à une roche voisine le nom de Roche à Colas.
Maintenant, au lieu de Fées brillantes, spirituelles et bienfaisantes, le village des Hayons compte quelques bêtes à cornes de plus ; nous demandons si cette localité a gagné au change, s’il y a lieu de l’en féliciter : non, assurément non.
NOTE : Nous trouvons d’autres versions dans lesquelles Colas se serait jeté de la roche qui porte son nom par dépit, victime de l’opprobe publique car les fées, parties, ne rendaient plus de services aux hayonnais. Une autre version raconte que Colas était le roi des sorciers et organisateur de sabbats. Il fut arrêté et conduit sur le pont de Bouillon pour y être brûlé vif. Dans d’autres récits, il est décrit comme un géant.
Toutefois, un de ces auteurs, Frédéric Kiesel, nous dit à propos de cette légende : « …vous pouvez y aller, l’histoire doit être vraie puisqu’il n’y plus de fées dans ce coin-là… ».
LA FEE NAMOUSETTE
Dans le bois dit « Presnaumont » existe une roche dont le nom « la Namousette » rappelle celui d’une Fée qui l’habitait et qui était douée d’une vélocité prodigieuse.
On raconte qu’après avoir mis ses pommes de terre sur le feu qu’elle venait d’allumer avec une poignée de bois sec, elle partait aussitôt pour Paris afin de se procurer une pincée de sel pour leur assaisonnement. Prodige ! Elle était de retour avant que les pommes de terre ne soient cuites à point. Elle faisait donc environ 12O lieues en 11 minutes !!!
Un jour, un riche laboureur de Dohan, surnommé Pierre sans Crainte, l’ayant injuriée, elle lui enleva en une seule nuit tous ses biens meubles et les transporta chez un individu des Hayons qui fut bien surpris de se voir tout à coup possesseur de tant de choses. La Namousette rencontra notre homme trois jours après et lui apprit que c’était elle qui l’avait enrichi et qu’en retour elle le priait de venir creuser un puits auprès de son rocher. Cet ingrat se moqua de sa bienfaitrice, la traita de vieille sorcière et la menaça même de la brûler dans sa roche. Mal lui en prit ; car la Fée lui enleva en une nuit, non seulement ce qu’elle lui avait donné, mais aussi ce qu’il possédait auparavant, et le tout fut jeté dans la Semois.
Cependant, à force de se livrer à de pareils faits, elle finit par être condamnée à mort par la Justice du lieu. Elle fut brûlée vive et on dit qu’à l’endroit de son supplice ne sont plus que ronces et épines.
LE GROS BROCHET ET LE QUINQUET DE LA ROCHE PERCEE.
Cette histoire n’est pas à proprement parler une légende. Toutefois elle a acquis une certaine notoriété puisqu’elle a été adaptée dans plusieurs autres endroits ; à Bouillon, notamment, avec d’autres truculents personnages du cru. Dans ses mémoires d’un vieux chêne, Victor Wauthoz raconte une savoureuse partie de pêche :
Sous les pentes du plateau du Hultai, près de la Roche Percée, la Semois a creusé un gouffre profond, refuge des poissons qui ne veulent pas lutter inutilement contre les courants violents. A l’heure des grosses eaux, les pêcheurs remplissent leurs bourriches puis entreprennent, le dos voûté, la remontée de la côte jusqu’au village d’Auby. C’est là qu’autrefois, au Café de la Grotte Saint Remacle, ils se rencontraient pour montrer le produit de leurs exploits en buvant du péket. Un jour où les eaux s’étaient retirés, clarifiées, et que le vent était passé à l’est – ce qui signifie pour les habitués de la Semois que le poisson, engourdi, ne mord pas et qu’il vaut mieux rester chez soi -, deux jeunes gens furent tentés par les captures miraculeuses dont ils avaient eu écho. Ils arrivèrent en même temps sur le pré et tendirent immédiatement leurs lignes sans même s’être salués. On sait, à la pêche, que tout voisin est encombrant…
Jusque midi, pas une touche ! Nil’un ni l’autre n’avaient encore ouvert la bouche. Au bout d’un moment, l’un dit : « Il y a quinze jours, à cette même place, je sortis un brochet de vingt livres avec une gueule grande comme çà ». L’autre s’obstina dans son mutisme. Ils continuèrent à observer les bouchons.
Dans la deuxième moitié de l’après-midi, l’autre pêcheur se décida à rompre le silence : « La semaine dernière », lui dit-il, « le bouchon fonça brutalement ; je ferrai et sentis une forte résistance. Je tirai à droite, à gauche, vers moi. Je recommençai maintes fois la manœuvre ; enfin cela vint ! Sacrée désillusion ! Ce n’était pas un brochet, mais un quinquet. Et mon étonnement fut d’autant plus grand que le quinquet était allumé ».« Félicitations », dit l’autre pêcheur.
Vint le crépuscule. Il fallut plier les cannes, se séparer et regagner Bertrix. Au moment de se saluer, l’homme du brochet dit à son compagnon, aussi bredouille que lui : « J’accepte de ramener le poids de mon brochet à 5 livres, mais en guise de concession, tu éteindras ton quinquet ».